Avis de tempête sur la planète : les marées noires

Véritable fléau du XXe siècle pour l’environnement, les marées noires ont eu de sérieuses conséquences sur la vie marine et sur les populations côtières. Ces nappes nocives d’hydrocarbures déversées en mer souvent suite à un naufrage, se répandent sur les côtes, noircissant irrémédiablement rochers, plages de sable fin et ports de pêche. En France, la Bretagne a particulièrement souffert de marées noires à répétition mais a su, par son abnégation à protéger et à nettoyer, faire face à ces pollueurs des mers.

L’île Maurice, dernière victime en date

Récemment, en juillet 2020, c’est l’île Maurice qui a vu se transformer ses eaux turquoises en un cloaque visqueux et sombre. Dans ce petit coin de paradis, les habitants ne s’étaient pas préparés à une telle dévastation. Ils n’ont pu que subir sans pouvoir l’arrêter, la marée noire causée par le naufrage du MV Wakashio, un vraquier japonais battant pavillon panaméen long de 300 m. Près d’un quart que son chargement de fioul s’est déversé dans l’environnement avant que les autorités ne se décident à réagir, plus préoccupées par la fronde sociale liée aux restrictions du Covid-19.

Le MV Wakashio déverse son chargement dans les eaux turquoises de l’île Maurice

Le 6 août 2020 pourtant, les habitants ont constaté, avec amertume et colère, une mer souillée par plusieurs tonnes d’huile lourde, répandues dans un de ses lagons les plus immaculés. Beaucoup de larmes ont été versées à la vue de cette mer noircie et à celle des dauphins morts ou agonisants dans le lagon. Tout comme les Bretons, les Mauriciens ont uni leurs forces pour créer plusieurs dizaines de kilomètres de bouées artisanales. Celles-ci ont pu contenir le fioul en mer pour l’empêcher de contaminer le riche littoral du sud-est de l’île, et se sont aussi révélées efficaces pour absorber le liquide contaminant.

Une sombre histoire qui se répète

La première marée noire de l’histoire remonte au 9 décembre 1893 lorsque le Sodium s’échoue près des Sables-d’Olonne, avec un chargement de pétrole. Mais le terme de « marée noire » ne sera employé pour la première fois qu’en mars 1967 lors de l’échouage du Torrey Canyon à proximité des îles Scilly en Grande-Bretagne. Il déversera dans la mer 121 000 tonnes de brut, atteignant la Bretagne. 11 ans plus tard, c’est le supertanker Amoco Cadiz qui répand 227 000 tonnes de brut sur environ 400 km de côtes françaises au large du Finistère. Castillo de Bellver, Odyssey, Haven, ABT Summer, Exxon Valdez, les naufrages sont nombreux et les catastrophes écologiques qui en découlent éveillent peu à peu l’opinion.

En effet, en 1978, la réaction du gouvernement français suite au naufrage de l’Amoco Cadiz se révèle inefficace. L’ampleur du désastre crée un véritable choc au sein de la population et de nombreuses manifestations vont s’ensuivre avec notamment le slogan : « mazoutés aujourd’hui, radioactifs demain ». Mais plus de vingt ans plus tard, le scénario va se répéter avec l’Erika, l’une des plus grandes catastrophiques écologiques qu’ait subie la France. Après le naufrage, le Centre de documentation, de recherche et d’expérimentations sur les pollutions accidentelles des eaux (Cedre), créé à Brest un an après le naufrage de l’Amoco Cadiz, va affirmer que le pétrole ne risque pas s’échouer en nappes sur les côtes françaises. Pourtant, les oiseaux mazoutés seront les premières victimes d’une marée noire qui recouvrira 400 km de côtes, du Finistère à l’île de Ré. Une mobilisation sans précédent permettra de nettoyer avec sueur les 20 000 tonnes de fioul qui se sont échappées de l’Erika.

Marée noire ayant souillé les côtes du Nordeste brésilien en 2019

Des conséquences écologiques majeures

Chaque marée noire a de lourdes conséquences sur l’environnement et notamment sur la faune et la flore. Des espèces marines entières peuvent disparaître sur une large zone, affectant alors toute la chaîne alimentaire. Les oiseaux sont également des victimes visibles de ce désastre écologique : englués dans les hydrocarbures, ils meurent asphyxiés au terme d’une longue agonie. En 2010, l’explosion de la plateforme pétrolière Deepwater Horizon dans le golfe du Mexique a notamment causé la mort de plus de 150 dauphins, 600 tortues de mer et 6 000 oiseaux.

Pour l’Erika, ce ne sont pas moins de 300 000 oiseaux qui sont probablement morts, même si 30 000 ont été secourus par de nombreux scientifiques et bénévoles venus de toute l’Europe pour tenter d’en sauver un maximum. L’Erika reste dans les mémoires comme une marée noire atroce, mais aussi comme l’une des catastrophes ornithologiques les plus meurtrières. Et par extension, tout cela affecte également les activités économiques telles que la pêche, l’aquaculture ou le tourisme. Toute cette région a eu bien du mal à se remettre de cette catastrophe, et aujourd’hui nombreux sont ceux qui plébiscitent des mesures de prévention, au-delà de l’évolution des normes des bateaux imposés par les assureurs de transport pétrolier.

Empêcher les hydrocarbures de se répandre

Tout d’abord, dans les premières heures du naufrage d’un bateau, tout doit être mis en place pour sécuriser et contenir un éventuel déversement sur un petit périmètre. Ces opérations sont fortement conditionnées par les conditions météorologiques, la nature du pétrole incriminé (lourd ou léger) et la proximité de sites sensibles à protéger (écosystèmes remarquables, productions aquacoles, sites touristiques…). La priorité suivante est le colmatage des fuites pour « fermer le robinet de pétrole » et le pompage des cuves, comme ce fut par exemple le cas pour l’Exxon Valdez. Dans le cas de petites pollutions localisées, il est possible d’utiliser des absorbants qui fonctionnent comme des éponges pour récupérer le pétrole en mer.

Lorsqu’une nappe de pétrole est située en haute mer et qu’elle ne menace pas les côtes, on met en place une surveillance et on la laisse se dégrader naturellement sous l’effet de micro-organismes. Néanmoins, si la nappe se déplace inexorablement vers les côtes, on utilisent alors des dispersants chimiques qui limitent les dommages sur les grands animaux mais ont une forte toxicité pour l’eau, contaminant ainsi les sédiments et leurs organismes. Enfin, lorsque la marée noire a fait son œuvre et que les boulettes d’hydrocarbures ont envahi les plages, seul un nettoyage minutieux et quasi-manuel permet de restaurer le naturel. Les moyens humains déployés sont ainsi extrêmement importants pour nettoyer efficacement et rapidement parfois des centaines de kilomètres de côtes.

La meilleure façon d’éviter une marée noire est encore d’éviter tout naufrage de bateau à risque, en obligeant les armateurs à la mise en place de normes de sécurité draconiennes, à la souscription d’assurances complètes ne les incitant pas à se soustraire à leur éventuelle responsabilité, à la réaction immédiate et proportionnée des gouvernements et services publics pour coordonner les interventions. Il en va de la protection de nos océans et de la biodiversité des côtes, déjà grandement affectés par la pollution plastique et le réchauffement. Il est toutefois encourageant de constater la solidarité et l’engagement des populations dans cette protection et ce soin aux espèces, parfois sous la forme de désobéissance civile à leur propre gouvernement. C’est une vraie lueur d’espoir car, comme le mettait en lumière le slogan écologiste de 1978, nous transportons aujourd’hui de l’or noir, mais qui sait ce que nous transporterons demain ?

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